Traumatisme générationnel ou intergénérationnel : comment faire la distinction

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Un traumatisme vécu par un individu ne s’arrête pas nécessairement à la fin de sa vie. Des études montrent que l’impact psychologique d’un événement peut franchir la barrière d’une seule génération, affectant des descendants qui n’ont pas été témoins directs du choc initial. Le vocabulaire médical distingue parfois mal les dynamiques de transmission et les effets spécifiques selon les générations concernées.Cette confusion alimente une méconnaissance des mécanismes impliqués et complique l’élaboration de stratégies de prise en charge adaptées. Les conséquences dépassent le cercle familial, influençant des groupes entiers et leurs trajectoires de santé mentale.

Traumatismes générationnels et intergénérationnels : de quoi parle-t-on vraiment ?

Le traumatisme générationnel s’abat sur une même cohorte, laissant à chacun de ses membres une marque indélébile après un événement traumatique d’ampleur, qu’il s’agisse d’une guerre, d’un exil ou d’une catastrophe naturelle. Les témoins directs portent un poids difficile à partager, souvent plus présent dans les silences que dans les récits. À travers ces non-dits, la mémoire collective familiale se construit, entrelacée de douleurs muettes et de souvenirs fragmentaires.

À l’inverse, le traumatisme intergénérationnel s’infiltre dans les générations suivantes, gagnant des personnes qui n’ont jamais assisté à la scène originelle. Cette transmission prend des formes multiples : gestes, peurs sans origine claire, attentes implicites. Les histoires des descendants de survivants de la Shoah, de la Seconde Guerre mondiale, ou encore les observations d’Anne Ancelin Schützenberger, rendent cette réalité tangible : secrets pesants, fidélités invisibles, répétition de symptômes ou d’événements surgissant sans raison apparente.

Pour mieux cerner la frontière entre ces deux notions, il convient de préciser leurs spécificités :

  • Les traumatismes générationnels frappent collectivement une génération, laissant une trace commune dans l’expérience et le souvenir d’un groupe entier.
  • Les traumatismes intergénérationnels traversent le temps, modifiant les repères psychiques et relationnels de la descendance.

La différence entre traumatisme générationnel et intergénérationnel tient dans la façon dont la douleur se propage à travers le temps et l’histoire familiale. Quant aux traumatismes transgénérationnels, ils renvoient à cette persistance obstinée des blessures, qui finissent par relier passé et présent dans un fil invisible. Comprendre ces distinctions, c’est mettre au jour la circulation de l’héritage psychique au sein des familles, ce courant discret qui modèle parfois en silence le destin de chacun.

Quels mécanismes expliquent la transmission d’un traumatisme à travers les générations ?

La transmission d’un traumatisme familial ne se limite pas à quelques confidences ou à des allusions lors d’un repas. Elle s’enracine dans les habitudes, les silences, les attitudes face à l’imprévu, la manière d’aborder l’éducation. Anne Ancelin Schützenberger a montré comment la souffrance laissée dans l’ombre, jamais vraiment reconnue, infiltre la dynamique familiale et imprime sa marque sur la vie psychique de la descendance. On observe alors des comportements inhabituels, des répétitions à des dates précises, ou des blocages dont la cause échappe à tout le monde.

Ce phénomène ne s’arrête pas à la sphère psychologique. Les progrès en épigénétique ont révélé que le stress subi par un parent peut altérer la méthylation de l’ADN et ainsi modifier l’expression de certains gènes chez ses enfants. Chez les descendants de survivants de la Shoah ou de grands conflits, on retrouve des traces biologiques du traumatisme, comme si l’événement avait laissé une empreinte jusque dans la biologie.

Différents canaux peuvent expliquer comment le traumatisme se diffuse d’une génération à l’autre :

  • Par les histoires de famille, les silences, ou la dissimulation de moments douloureux.
  • À travers les liens affectifs : anxiété parentale, vigilance excessive, distance émotionnelle.
  • Via les modifications épigénétiques qui suivent un stress post-traumatique et touchent le patrimoine génétique des enfants.

Nicolas Abraham et Maria Torok ont développé l’idée du noyau et de l’écorce pour décrire ce qui ne peut se dire mais finit par s’exprimer autrement. Parfois, ce sont des symptômes physiques qui prennent le relais, parfois des comportements ou des choix de vie. Tant que le secret ou la blessure demeure enfouie, le schéma semble se prolonger, génération après génération.

Conséquences psychologiques : comment ces traumatismes impactent-ils la vie familiale et individuelle ?

Les conséquences psychologiques liées au traumatisme générationnel ou intergénérationnel s’invitent dans la vie quotidienne, rarement de manière bruyante. Chez l’enfant, l’ombre d’un stress post-traumatique parental se traduit par une forme d’anxiété diffuse, un sentiment d’insécurité, ou la peur de perdre ses proches sans raison apparente. Des cliniciens comme Serge Tisseron ou Claude Nachin repèrent ces signes : troubles du sommeil, repli sur soi, manque de confiance en soi.

L’atmosphère familiale s’en trouve affectée. Le non-dit agit comme une frontière invisible : chaque membre perçoit qu’il existe une histoire cachée, dont il subit les conséquences sans la connaître. Cela complique souvent les relations, fragmente les liens entre générations et génère des tensions incompréhensibles. Certains schémas se répètent à l’identique : séparations, conflits, difficulté à établir des relations stables et sécurisantes.

On peut relever les manifestations les plus fréquentes de ces transmissions :

  • Dépression persistante ou épisodes d’anxiété répétés
  • Douleurs physiques, troubles psychosomatiques parfois attribués à tort à des maladies chroniques
  • Obstacles dans la construction d’une identité personnelle solide

Chez les enfants de la génération suivante, il n’est pas rare de retrouver une culpabilité latente, un malaise sans cause précise, ou la sensation de supporter un poids qui ne vient pas d’eux. Serge Lebovici et Alberto Eiguer ont étudié ces trajectoires d’enfants marqués par les événements marquants vécus par leurs parents : guerres, déracinements, pertes majeures. Le cycle de la répétition, qu’il soit conscient ou non, finit par façonner l’histoire familiale, faite d’une mosaïque de souvenirs, de silences et de blessures accumulées au fil du temps.

traumatismes familiaux

Des pistes thérapeutiques pour se libérer du poids des héritages traumatiques

Pour alléger les traumatismes transgénérationnels, plusieurs approches existent aujourd’hui, où la parole, l’écoute et le corps ont toute leur place. La psychogénéalogie, développée par Anne Ancelin Schützenberger, propose de retracer l’arbre familial à l’aide du génosociogramme. Ce travail minutieux met en lumière les liens cachés, éclaire les répétitions, permet d’oser nommer ce qui restait jusque-là dans l’ombre.

L’EMDR (désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires) a fait ses preuves en France, au Canada ou à New York, pour atténuer le stress post-traumatique. Cette méthode aide à traiter la charge émotionnelle, même si le traumatisme n’a pas été vécu directement mais transmis au fil des générations. De leur côté, les constellations familiales, conceptualisées par Bert Hellinger, offrent une approche systémique : en mettant en scène la famille, elles aident à dénouer les schémas répétitifs et à apaiser la mémoire partagée.

Différentes méthodes thérapeutiques peuvent accompagner ce cheminement :

  • Thérapie individuelle ou de groupe, adaptée à l’histoire de chacun et à sa place dans la famille
  • Pratiques corporelles telles que hypnothérapie, sophrologie, yoga, méditation, pour retisser le lien entre corps et esprit
  • Art-thérapie pour exprimer ce qui résiste aux mots et renouer avec la capacité à se reconstruire

Parfois, il s’agit aussi d’ouvrir un dialogue intergénérationnel : chaque membre de la famille contribue alors à reconstituer l’histoire, partager les pièces du puzzle, apaiser les blessures héritées. Les récentes recherches sur la diminution de la méthylation de l’ADN ouvrent une perspective nouvelle : la transformation reste possible, même lorsqu’elle s’inscrit jusque dans la biologie. Des spécialistes comme Nina Canaut, Tobie Nathan ou Nathalie Zaide rappellent qu’une prise en charge efficace joint la dimension thérapeutique à une transmission familiale enfin apaisée.

Sur ce chemin, chaque génération garde la possibilité de rompre la chaîne et d’inventer une histoire qui ne soit plus dictée par les blessures d’hier. Ce qui n’a pas pu être dit trouve toujours une issue ; reste à choisir si cette issue sera celle du mal-être ou du sens retrouvé.